Accueil Politique «Si chacun se mettait à dire ce qu’il sait…»

«Si chacun se mettait à dire ce qu’il sait…»

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L’homme tient, comme à la prunelle de ses yeux, à la bonne gestion du pétrole et du gaz qui seront produits au Sénégal. Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et des énergies, y veille comme du lait sur le feu. Avec «L’Obs», il a tenu à apporte la lumière sur le présumé scandale du pétrole ébruité par la chaîne britannique Bbc. Et qui alimente des polémiques dans l’espace politique du Sénégal. Makhtar Cissé livre, dans les détails prêts, les dispositions prises par l’Etat pour protéger ses revenus dans les contrats pétroliers et gaziers. Il s’en est pris à certains opposants qui sont en permanence dans l’invective et une sorte de guérilla verbale depuis l’éclatement de l’affaire Aliou Sall-Pétro-Tim. Le ministre aborde, entre autres questions, le report des Locales, les ambitions politiques qu’on lui prête, ses objectifs, son soutien au Président Macky Sall…

L’affaire Petro-Tim a «secoué» toute le République. Ne pensez-vous pas qu’à travers les stratégies de défense de Aliou Sall, frère du Président, par le Gouvernement, l’on a confondu une affaire privée à une affaire publique ?

Comme vous le dites, dans cette affaire Petro-Tim, il faut distinguer la sphère privée de la sphère publique. Même si la frontière n’est pas étanche, parce que les acteurs, ce sont des hommes et des femmes. Il peut y avoir des liens. Mais, il est évident que dans le traitement de ce dossier, on ne peut pas ne pas faire la part des choses. D’ors et déjà que le procureur de la République est saisi de cette affaire, on devrait arrêter toutes les discussions et s’en remettre à la Justice. Si on veut rester une démocratie apaisée, il faut qu’on apprenne à respecter le pouvoir judiciaire et ses décisions. Dans le jeu démocratique, les différents acteurs peuvent trouver des consensus sur la chose politique électorale. Mais, quand il y a des conflits ou litiges dans un Etat de droit, la référence, c’est le tribunal. En République, c’est la vérité judiciaire. Il est heureux que le Procureur ait été saisi sur l’affaire Petro-Tim. Espérons que tout le monde va aider à la manifestation de la vérité. Nous tous, nous avons besoin de savoir (de quoi il s’agit, Ndlr). Que ce soient les acteurs publics comme privés, nos partenaires au développement qui nous observent, les Sénégalais qui nous écoutent.

Ce n’est pas inquiétant ce débat sur le pétrole ?

Ce débat n’est pas fortuit. Il n’intervient pas comme ça par hasard. Je ne peux pas croire à cela. J’observe le monde comme tout le monde. Je n’ai pas vu un pays producteur de pétrole et de gaz avec une démocratie apaisée, une paix sociale consolidée. Et si on ne fait pas attention, notre pays n’y échappera pas. Ce n’est pas une malédiction du pétrole. C’est une malédiction des élites qui n’arrivent pas à s’entendre autour de l’essentiel, à avoir un peu plus de souci du pays. Malgré les divergences et les attentes non réalisées des uns et des autres, on doit pouvoir se faire violence et penser plus au Sénégal, surtout aux jeunes générations dont les découvertes du pétrole et du gaz représentent l’espoir le plus sûr de réalisation de leur vie. C’est ce qui est important. Le président de la République, Macky Sall, est au-delà d’assumer, comme le pensent certains, ses liens de parenté avec son frère Aliou Sall. En plein Conseil des ministres, il a dit qu’il n’a pas d’état d’âme en ce qui concerne l’Etat. Pour le Président Macky Sall, il n’est pas question que les intérêts de la famille priment sur ceux de l’Etat et des populations du Sénégal. Maintenant, même si on est un frère du Président, on est un citoyen. On a le droit à la présomption d’innocence. Il faut laisser les gens se défendre et laver leur honneur quand ils sont attaqués. C’est très violent ce qui arrive. Très souvent, dans notre pays, on a vu des gestionnaires publics être accusés, traînés devant les juridictions, aller en prison. Deux ans après, par exemple, on se réveille avec un non-lieu. Alors qu’on a fini de bousier leur vie et celle de leur famille. Toutes les garanties de représentation sont là. Il faut faire confiance en la Justice et laisser le cours normal se dérouler et que tout le monde contribue à la manifestation de la vérité. J’appelle tout le monde à plus de sérénité. Il n’y a que les cœurs apaisés qui pourront construire ensemble le Sénégal. On ne peut pas être en permanence dans l’invective et une sorte de guérilla verbale et vouloir développer le Sénégal. Ce n’est pas possible.

Le retentissement médiatique de ce présumé scandale sur le pétrole ne risque-t-il pas d’impacter négativement l’environnement économique du Sénégal, faisant ainsi fuir certains bailleurs de fonds ?

Je n’ai pas d’instrument pour mesurer cela. Mais, tout ce qui se dit de mauvais sur notre pays et ses dirigeants ne peut pas être bon pour nous. Les fondamentaux de notre économie sont ce qu’ils sont. Les acteurs jugent sur les faits. C’est ça le drame de beaucoup d’acteurs. Il y a une telle médiatisation (de cette affaire Petro-Tim, Ndlr) que tout le monde pense que le monde est à l’arrêt, qu’on observe le Sénégal. C’est vrai, le monde nous observe, mais pas plus qu’il ne regarde d’autres pays où se passent d’autres choses. Je préfère qu’on puisse développer nos ressources naturelles dans un climat apaisé avec un minimum de consensus des acteurs politiques, étatiques, non étatiques, du privé, de la société civile. Sans oublier les entrepreneurs et hommes d’affaires sénégalais. Il faut que nos hommes d’affaires et nos entreprises puissent se préparer à la gestion des ressources naturelles pour se développer, créer de la valeur et des milliers d’emplois. Il y a un institut national du pétrole et du gaz, mais ça ne suffit pas. Il faut expliquer aux jeunes, depuis les lycées techniques et les universités, les nouveaux métiers du pétrole et du gaz sur lesquels ils doivent se spécialiser. On aura le premier baril en 2022. Si d’ici là nos jeunes ne sont pas prêts, on a un marché communautaire avec une liberté de circulation. Ceux qui connaissent déjà le pétrole et le gaz (Nigérians, Sierra-léonais, etc.) vont venir prendre ces emplois. On ne réfléchit pas assez. On est tout le temps dans le temps politique. C’est ça qui est plus nuisible au climat des affaires que le reste. Il faut développer un Etat de droit économique. On ne peut le faire que par consensus.

Comment analysez-vous la guerre des chiffres dans cette affaire Petro-Tim ?

Dans le monde du pétrole et du gaz, ce sont des salaires courants. Dans cette affaire (Petro-Tim), il y a des chiffres avancés. Il y a un chiffre qui serait une perte d’impôt sur 250 000 Dollars (qu’aurait touché Aliou Sall, Ndlr). Si cela est avéré, ce n’est pas perdu. Ça peut être récupéré par les impôts. Il y a un chiffre hallucinant de 6 000 milliards de FCfa (perdus par le Sénégal sur les contrats pétro-gaziers). Le Sénégal ne peut pas avoir un budget de 4 000 milliards de FCfa et prendre 6 000 milliards de FCfa pour les jetés. Cet argent est tiré d’où ? Il y a une clé de répartition sur les revenus futurs du Sénégal, tirés de l’exploitation des gisements du pétrole et du gaz. Cette clé de répartition s’analyse en termes de pourcentage en fonction de l’actionnariat des compagnies qui exploitent. La répartition du profit généré par le projet donne, au bas mot, 67 à 70% de revenus nets de l’exploitation à l’Etat du Sénégal, en plus des taxes ou impôts que vont payer les sociétés (Kosmos et Bp). Ce qui est très loin des 10% annoncés pour Pétrosen. Les revenus de l’Etat sont bien protégés et stabilisés dans les contrats de pétrole et de gaz. Les parts de Kosmos et Bp sont également codifiées et protégées, parce que c’est un partenariat gagnant-gagnant. Tout se fait dans le gouvernement de la loi.

Dans cette affaire du présumé scandale à 10 milliards de Dollars sur le pétrole où il serait mouillé, Aliou Sall n’est-il pas en train de donner des armes à l’opposition pour atteindre le Président Macky Sall ?

Aliou Sall ne peut pas donner des armes à quelqu’un pour atteindre le Président pour plusieurs raisons. Avant d’être le frère du Président, il est un militant politique et maire d’une commune (Guédiawaye). Donc, c’est un acteur politique qui est dans le camp de la majorité, donc du pouvoir. Il est en train de faire face à une campagne (de diabolisation). Il va se défendre comme citoyen. Je crois qu’il faut accorder à tout citoyen la présomption d’innocence. Cela est sacré. Tant que ça touche les autres, votre adversaire ou ennemi, vous vous en réjouissez. Mais, il faut penser au jour où cela vous toucherait. Chacun peut être, d’une façon ou d’une autre, confronté à des accusations, à la Justice ou à la rigueur de la loi. On ne peut pas dire qu’on accuse Aliou Sall, il doit accepter. Ce que je sais de Aliou Sall, c’est un homme digne et respectable.

Qu’en dites-vous des attaques à répétition contre le président de la République ?

La fonction de président de la République n’appartient pas à Macky Sall éternellement. D’autres vont l’hériter. Il ne faut pas fragiliser la position de président de la République. Cela est extrêmement important pour l’avenir de notre démocratie, de notre pays. Ceux qui incarnent les institutions, il faudrait leur témoigner respect.

Trouvez-vous normal qu’un rapport qui serait commandité par le chef de l’Etat à l’Inspection général de l’Etat depuis 2012 ne puisse pas atterrir sur la table du Président pendant tout ce temps ? Cela est-il possible ?

Je ne sais pas. Mais, le tribunal nous dira ce qui s’est passé. Je le dis et le répète, le corps de l’Inspection générale d’Etat (Ige) est une institution admirable. Il n’y a que ces dernières années où l’on a commencé à sortir de l’ombre les Inspecteurs généraux d’Etat, à parler d’eux et très souvent en mal. Ce qui est une grosse injustice. Ce n’est pas parce que j’appartiens au corps que je le dis. Les Ige ont rendu d’énormes services à l’Etat, à travers les rapports et les missions de contrôle qui ont permis de structurer notre Administration, notre Etat, et de garantir le fonctionnement rigoureux de nos institutions. Le président de la République est le destinataire unique de tous les rapports de l’Ige qui deviennent définitifs, exploitables après leur approbation par le chef de l’Etat. S’il n’a pas reçu le rapport de l’Ige, ça veut dire qu’il n’y a pas de conclusions et de directives.

Qu’en dites-vous de ce document de l’Ige qui circule ?

Ce qu’il faut noter est que c’est nous qui avons la responsabilité de la charge publique. Il faut qu’on puisse respecter notre serment de ne divulguer que ce qui est diffusable. Il faut être très attentif à cela. Si chacun se mettait à dire ce qu’il sait, personne ne serait en sécurité dans ce pays. Nous n’avons pas ce droit. L’Etat, c’est un mythe. Il faut du secret et de la discrétion. C’est cela qui permet l’efficacité et la sécurité. Chacun d’entre les Inspecteurs généraux d’Etat est une armoire de secrets.

L’idée du report des Locales est agitée par certains. Quelle est votre position sur la question ?

Dans l’absolue, je suis pour le respect du calendrier républicain. Mais, il faut qu’on évite d’être tout le temps en campagne électorale. Avoir une élection chaque année, cela ne permet pas de travailler. Il faut que les acteurs politiques (opposition et pouvoir) puissent se parler et trouver un consensus fort pour pouvoir rationaliser les choses. Le résultat que les Sénégalais attendent, ce n’est pas seulement l’organisation des élections. Il faut qu’on améliore leurs conditions de vie et il faut du temps pour ça. On ne peut pas être en permanence en campagne électorale. Il y a une perte de temps et c’est pénalisant pour l’économie.

le ministre, on constate que vous ne meniez que des activités politiques de proximité sur le terrain, sans verser dans le folklore politique. Est-ce à dire que vous n’êtes pas encore prêt à faire de la politique pure et dure ?
Il ne faut pas confondre mon activité publique et mon activité politique. Au moment où je vous parle, je suis encore Inspecteur général d’Etat (Ige). Donc, je suis inéligible de part la loi. Je ne peux être candidat à aucune élection, sauf à démissionner de l’Ige. Ce qui n’est pas encore le cas. Mais, en tant que personne publique, il m’arrive d’être en contact avec les populations, d’avoir des activités. C’est évident que je soutiens le Président Macky Sall. En fait, on ne peut pas être ministre de la République, siéger dans un Gouvernement et être neutre. Etre ministre, c’est un statut éminemment politique. Vous ne m’avez pas vu participer à des meetings, faire des déclarations. Mais, je suis libre de recevoir qui je veux et de pousser tous mes contacts à soutenir le Président Macky Sall.

Ça veut dire que vous n’avez pas encore des ambitions politiques ?

Je ne veux pas entrer dans ce débat là. Les gens vous prêtent d’autres ambitions. Je refuse de tomber dans leurs pièges. Car, ils essaient de vous enlever votre sérénité qui vous permet de travailler. Ils essaient de vous mettre en mal en permanence avec le Président. Ils disent : «Il est ambitieux, il se prépare.» Cela, sur aucune base. Beaucoup de gens ne savent pas que je suis inéligible. Pour démissionner de l’Ige, il faut un décret du président de la République. Ma lettre de démission ne suffit pas. Il faut que j’écrive pour dire que je quitte l’Ige et que le Président valide cela par un décret. Le jour où j’aurais envie de faire de la politique, je démissionnerai de l’Inspection générale d’Etat. Et le président de la République (Macky Sall) sera la première personne à être informée.

D’aucuns vous soupçonnent d’être la botte secrète du Président Macky Sall en 2024. Qu’en dites-vous ?

2024, c’est encore loin. On aura le premier baril de pétrole et j’espère que les Sénégalais vivront mieux. Moi, ce que j’ai en tête, c’est de voir le Sénégalais mieux vivre, d’avoir beaucoup moins de chômeurs, des Sénégalais bien formés. C’est cela mon objectif. Je ne suis pas dans la spéculation politique. L’avenir appartient à Dieu. Je ne peux pas empêcher les Sénégalais de spéculer. Il faut respecter la liberté des autres. Mais aussi, il faut qu’ils respectent notre liberté de rester ce que nous sommes.

MATHIEU BACALY

& FALLOU FAYE

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