Accueil À la une Inger Andersen : « L’Afrique importe beaucoup de marchandises contenant du plastique »

Inger Andersen : « L’Afrique importe beaucoup de marchandises contenant du plastique »

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Du 29 mai au 2 juin, les représentants de 175 pays vont se réunir au siège de l’Unesco, à Paris, pour la deuxième session de négociations sur un futur traité mondial contre la pollution plastique. La résolution adoptée en mars 2022, à Nairobi, stipule que l’accord devra comporter des éléments contraignants, ainsi que le souligne la directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’Environnement. Dans cet entretien accordé à RFI, elle a souligné l’impact de ces matières plastiques sur le continent africain.

RFI : Malgré la frilosité des États-Unis, êtes-vous confiante sur une issue favorable au caractère contraignant du traité ?

Inger Andersen : Les négociations en vue d’un traité sur le plastique stipulent très clairement qu’il s’agira d’un accord juridiquement contraignant. Il est donc acquis que cet accord comportera des éléments contraignants et c’est donc sur cette base que se dérouleront ces nouvelles négociations. Il n’y aura pas d’accord conclu à Paris ; il s’agit d’un deuxième cycle de négociations sur cinq. Une fois celui-ci terminé, il en restera encore trois autres, mais je suis absolument convaincue que nous parviendrons à un accord. Il doit être ambitieux. Si nous n’arrêtons pas la pollution plastique, si nous continuons à l’utiliser sans le recycler, il y aura des conséquences assez catastrophiques pour nos écosystèmes aquatiques et terrestres, donc cette négociation est absolument cruciale.

En mars, le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) a publié un rapport qui prône l’économie circulaire et le recyclage comme une solution à la pollution plastique, mais des ONG veulent qu’on en réduise d’abord la production. Que leur répondez-vous ?

Nous devons tout repenser.  Nous devons bien entendu recycler chaque morceau de plastique que nous avons l’intention de jeter, mais nous ne pouvons pas nous sortir de cette impasse par le seul recours au recyclage. Nous devons repenser les produits qui, aujourd’hui, se présentent sous forme liquide et se demander pourquoi il faut les produire dans cet état, ce qui n’était pas le cas auparavant. Aujourd’hui, nous liquéfions tout, du dentifrice au savon, en passant par le shampoing et tout le reste. Nous devons donc repenser cette modalité, mais trouver aussi un moyen différent de transporter les produits qui sont toujours enveloppés dans du plastique. Donc, nous devons évidemment repenser l’emballage et penser à des emballages réutilisables à grande échelle. Pour cela, nous devons réfléchir à des solutions de recharge, arrêter de produire des emballages qui ne peuvent pas être recyclés et mettre fin à l’usage des produits chimiques dans les emballages, de façon à ce que nous puissions les recycler en toute sécurité.

L’Afrique est particulièrement vulnérable face à la prolifération de déchets plastiques toxiques. Comment y remédier ?

Nous devons envisager une transition sûre, durable et juste pour les quelque vingt millions de personnes qui travaillent dans la collecte de déchets plastiques. Si nous passons au recyclage, à des solutions de réduction de la production, il faut que ces personnes ainsi que leurs familles puissent trouver des emplois décents dans les secteurs associés. Justement, si nous procédons à ces changements, si nous concevons de nouveaux types d’emballage, si nous visons une économie circulaire et assurons une transition juste pour les travailleurs, il y a des emplois et des opportunités à saisir. Il y a une nouvelle économie à créer et c’est l’avenir que nous voulons voir émerger dans les prochaines années.

En Afrique, certains craignent que l’accent mis sur le recyclage ne transforme le continent en un dépotoir des déchets plastiques provenant de l’Occident. Comprenez-vous cette inquiétude ?

La plupart des pays africains ont signé une convention qui empêche l’importation de ce type de produits, sauf si ces mêmes pays en décident autrement pour des raisons qui leur sont propres. Il est évident que nous ne voulons absolument pas que ce revirement se produise. Je pense aussi au fait que dans le cadre de la Convention de Bâle qui traite des déchets dangereux, le plastique est considéré comme une matière dangereuse qui ne peut pas être transportée à travers les frontières, à moins qu’il n’y ait un consentement préalable.

Nous ne prétendons pas que l’Afrique n’a pas de problèmes concernant le plastique. Nous savons que son utilisation domestique est très importante. Il sera donc essentiel de trouver des solutions pour ce plastique qui se trouve actuellement sur le continent, pour qu’il continue d’être produit dans l’ensemble du continent et voyager de par le continent. Mais cela nécessitera un mouvement mondial, car nous devons garder à l’esprit que l’Afrique importe beaucoup de marchandises contenant du plastique et que l’Afrique est un producteur important d’emballages en plastique. Ainsi, dans certains pays où j’ai eu des discussions à ce sujet, il est clair que les pays producteurs sont surtout préoccupés par le risque d’une perte d’emploi.

Quels sont les plus grands producteurs de plastique en Afrique ?

Je ne vais pas citer un pays en particulier, car si l’on examine les 50 pays d’Afrique, on constate qu’au moins 80% d’entre eux ont une petite industrie plastique qui crée des emplois. C’est donc ça la réalité. Aussi, la question est de savoir comment mettre en œuvre des changements structurels et comment réaliser ces changements en toute sécurité afin que nous sachions qu’en dehors du plastique à usage unique, nous pouvons trouver des alternatives et que nous visons vraiment à sortir de l’économie linéaire et à nous diriger vers la circularité.

Quelles sont les difficultés concrètes des pays du Sud pour trier et recycler les déchets plastiques ?

La plupart des pays du Sud ne disposent pas d’installations de recyclage à grande échelle. Il y a beaucoup de très bonnes start-up qui font du bon travail, mais c’est un travail de Sisyphe comparé à l’énorme quantité de déchets plastiques issus de la consommation quotidienne dans les pays du Sud. Il faut donc repenser complètement tout cela. Lorsque j’étais en Afrique australe, par exemple, j’ai eu des conversations intéressantes à ce sujet, et certains m’ont posé cette question : « Étant donné que nos marchés sont relativement petits, pouvons-nous, en tant que SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe], nous regrouper et commencer à envisager des investissements dans le recyclage à l’échelle régionale, ce qui pourrait créer des opportunités commerciales intéressantes ? »

La réponse est que, avant tout, nous devons réduire la quantité de plastique brut qui est injecté, chaque jour, dans l’économie, et nous devons repenser les produits et leur conception pour qu’ils puissent être transportés sans avoir besoin d’utiliser du plastique. C’est absolument essentiel. Et nous devons tenir les intérêts des combustibles fossiles à l’écart de ces négociations, de sorte que nous puissions être ambitieux et adopter des éléments juridiquement contraignants d’ici fin 2024.

RFI

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