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Pr Malick Ndiaye, un amour d’intellectuel !

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Pr Malick Ndiaye, un amour d’intellectuel !

Le professeur Malick Ndiaye, universitaire et sociologue émérite, est décédé ce mardi 25 avril 2023 à Dakar. Je l’ai découvert tout jeune à travers l’émission Presse-Club, animé par le fameux Diadji Touré, à la Rts. C’était l’époque où le débat médiatique était animé par les Tafsir Malick Ndiaye, Amady Aly Dieng, Babacar Kanté, Sémou Pathé Guèye, Massaër Diallo, Mamadou Diouf… et des ministres du gouvernement, comme feu Tidiane Sylla, qui venaient débattre avec ces intellectuels.

Ce fut une découverte pour moi, mais un choc intellectuel, une claque morale devant tant de verve, de maturité, d’éloquence et de force oratoire. Il avait finalement boudé l’émission. Autant dire et prononcer ici le tempérament sémillant de l’homme qui tenait la dragée haute aux débatteurs les plus redoutables, comme ce fameux face-face avec Fayçal Charara, qui venait représenter le patronat, et Malick Ndiaye, l’homme de Gauche, était sur ses grands concepts de lutte des classes, de dialectique historique, comme d’autres sur leurs grands chevaux. Il faut dire que Fayçal s’en est bien tiré. C’était aussi l’époque où le jeune Mademba Sock venait contredire l’historique Madia Diop et Pr Penda Mbow discuter avec Sidy Lamine Niasse… On dirait qu’entre-temps, quelque chose a tourné en eau de boudin au Sénégal.

Malick Ndiaye, malgré les apparences, ne poussait jamais son vis-à-vis jusqu’à ses derniers retranchements, à l’exception de ce débat mémorable, violent et brutal avec Massaër Diallo à la Radio Sénégal. L’animateur était dépassé par ce duel à fleurets mouchetés où le français volait haut, les idées s’entrechoquaient et même des injures savantes qui sortaient de part et d’autre. Ah ! Que c’était beau cette période d’amour intellectuel où nous nous pourléchions les babines devant la verve intellectuelle de ces aristocrates du savoir, nos oreilles de lièvre tendues à l’affût de la moindre expression, nos regards énamourés devant le petit écran, appareil cathodique qui distillait un savoir qui traversait nos sens.
Malick Ndiaye était un intellectuel au sens premier du mot, autrement dit un homme qui se battait avec des concepts, mais qui toute sa vie martelait aussi le macadam avec ses longues jambes, sa silhouette parfois faussement dégingandée et son expression gestuelle particulièrement sensée. C’était un homme solide, physiquement courageux, qui bravait les Forces de l’ordre qui étaient dans leur rôle, un homme médiatique qui accordait des interviews brusquement interrompues par une arrestation intempestive. Malick Ndiaye n’était pas un carriériste, il a pris le risque de descendre dans l’arène, enlevant la toge universitaire, se salissant les mains, souvent en butte aux incompréhensions liées à ses prises de positions intellectuelles, politiques et panafricaines qui lui ont collé à la peau. Mais il n’était pas pour autant un défroqué. Le froc universitaire lui seyait à merveille, au propre comme au figuré. Il est l’auteur entre autres d’un livre remarquable, son chef-d’œuvre, on parle rarement de chef-d’œuvre avec les universitaires : L’Ethique Ceddo et la Société d’accaparement, qui a fait grand bruit à l’époque et courageusement présenté au Centre culturel français de Dakar.

Il fallait voir Malick Ndiaye, il était tout content comme un potache, fier de son éloquence et de la pertinence de son livre, et des thèses qu’il avance. L’un des livres les plus importants pour comprendre l’homme sénégalais. Depuis lors, Malick est comme marqué par une sorte de «courant de conscience» où l’éthique devient le baromètre principal qui lui fera dire et faire des choses. En définitive, Malick n’a eu de cesse d’avoir une conception déontologique de la vie politique et intellectuelle tirée de l’Ethique. La téléologie et l’utilitarisme ont eu très peu d’influence sur ses écrits, même s’il a prôné dans Aj, l’entrée au gouvernement de Diouf dans les années 90. Sa complexité frisait parfois la contradiction. Il était loin d’être naïf !

Je ne pouvais deviner dans les années 90 que nos chemins vont se croiser à travers l’action militante, surtout la cause du Peuple palestinien qui lui tenait tant à cœur et qui, jusqu’à une date récente, était le monopole du mouvement démocratique national. Malick Ndiaye était le principal animateur clandestin du Cercle des lecteurs de Suxuba, qui plus tard s’est fondu avec d’autres organisations de Gauche comme l’Ost (Organisation socialiste des travailleurs), l’Udp (Union pour la démocratie populaire) et le Mrdn de Landing Savané, pour devenir Aj/Pads. Oh mon Dieu ! J’étais un fervent lecteur de Xare Bi et de Daan Doole Bi, mais aussi… du brûlot «bolchevique» Fergnent, distribué sous couvert d’anonymat. La révolution n’a jamais eu lieu. Mais des ainés comme Malick Ndiaye, Moussa Diop et autres illustres anonymes preux chevaliers qui, prostrés sur des méthodes intellectuelles dogmatiques et attendant le grand-soir, chahutés par les intellectuels post-mur de Berlin, ont permis d’aller voir ailleurs et de comprendre que le militantisme est romantique avant tout. C’est une affaire de cœur et d’amour. C’est une praxis universelle, quelle que soit l’idéologie qu’il soutient.

Il faut dire que nous avons cheminé ensemble en bien des causes, même si on ne partageait pas tous ses avis et postures. J’ai alors appris que l’homme était très souple quand il voulait quelque chose. En témoigne cette agression verbale venant d’un jeune élève, un fanatique admirateur de Abdoulaye Wade qui voulait interrompre son discours au terrain de basket-ball archi-comble de l’Ucad, où nous l’avions convié à parler de la cause palestinienne. Personne ne pouvait le désarçonner, il a continué dans ses envolées, comme il les aimait tant. Il avait la bougeotte, Malick Ndiaye fut un militant hyperactif, il a parfois fait feu de tout bois parce que désemparé par l’immobilisme politique.

Mais qu’à cela ne tienne, je dois dire que nous avons aimé et admiré le Pr Malick Ndiaye jusqu’à ce que finalement il disparaisse de la scène publique pour cause certainement de maladie, après une sortie télévisuelle très étrange où il faisait face à de jeunes journalistes qui ne comprenaient pas grand-chose à ce qu’il racontait. Malick Ndiaye était comme illuminé. Je sus ce jour-là qu’il cherchait sa voie spirituelle, qu’il en était au début et exprimait du coup ses sentiments encore inachevés et incompréhensibles pour lui-même. Les voies du Seigneur sont innombrables ! Malick Ndiaye était devenu le prêcheur excité du retour aux daaras et autres formes traditionnelles d’acquisition et de transmission du savoir. Ce qui faisait rire gentiment ! De toutes les façons, au moment où un meurtrier et sa victime entreront ensemble au Paradis, Dieu, dans son incommensurable Magnanimité, esquissera un sourire. Qu’il accueille le Pr Malick Ndiaye dans sa Miséricorde infinie !
Khalifa TOURE
Ecrivain/Critique littéraire
et Cinéma

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