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Est-il désormais permis d’insulter les magistrats ?

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Le Président Macky Sall a eu la posture la plus républicaine qui consiste à saluer le travail effectué par la Cour des comptes dans le cadre de l’examen de la gestion des fonds dégagés par l’Etat du Sénégal pour la riposte contre la pandémie du Covid-19. Le chef de l’Etat a tenu à manifester le respect dû aux différentes institutions publiques et déclare s’évertuer à faire jouer à chacune d’entre elles la plénitude de ses missions et prérogatives. Il réitère ainsi son engagement pour la transparence et la bonne gouvernance et peut se targuer d’avoir mis en œuvre d’importantes réformes tendant à renforcer les compétences et pouvoirs des institutions de contrôle de l’Etat. Mais le Président Sall aurait bien besoin de partager son sens de l’Etat et du respect des institutions avec nombre de ses proches collaborateurs et surtout, mettre le holà sur les attaques régulièrement proférées contre les hauts magistrats et autres fonctionnaires.

Point de gloire pour les ministres Mansour Faye et Moustapha Diop
C’est connu, «l’insulte est souvent l’argument final de celui qui ne trouve plus rien à dire». Dans l’édition du Journal L’Observateur du 22 décembre 2022, le ministre Mansour Faye était monté au créneau pour réagir au rapport de la Cour des comptes qui pointe un doigt accusateur sur la gestion des fonds publics mis à sa disposition. Le ministre a balayé d’un revers de main les conclusions des magistrats en accusant ces derniers d’être des «politiciens encagoulés» qui mèneraient des «combats politiques». L’insulte est grave, un affront outrageant qui n’honore pas son auteur. Seulement, quelle est la dignité d’attaquer une personne qu’on sait incapable de se défendre ? Les magistrats de la Cour des comptes vont rester stoïques.

La Chambre des affaires budgétaires et financières de la Cour des comptes, qui a produit le rapport sur la gestion des fonds de riposte contre le Covid-19, n’a pas rendu une décision juridictionnelle. Elle a formulé un certain nombre de recommandations dont la traduction d’auteurs de faits susceptibles d’être qualifiés de fautes de gestion ou d’actes pénalement répréhensibles devant les institutions compétentes. C’est dire que le rapport ne saurait être un document définitif et toute personne mise en cause demeure présumée innocente et aura, le cas échéant, la latitude d’assurer ses moyens de défense devant les juridictions appropriées. A ce niveau, il faudra une autre attitude que l’injure à la bouche ou l’arrogance.

La sortie du ministre Mansour Faye pour pourfendre les membres de la Cour des comptes est d’autant plus regrettable et condamnable qu’elle semble indiquer une assurance, une garantie d’impunité que sa situation personnelle de membre de la famille du président de la République pourrait laisser croire. Néanmoins, on devrait être plus exigeant vis-à-vis de lui car «la femme de César doit être irréprochable», comme le disait un adage. Pourtant, Mansour Faye, réputé colérique, aurait pu apprendre de ses propres turpitudes. Il avait suscité le tollé en avril 2020 en accusant, avec les mêmes mots, les médias et toutes les autres personnes qui s’interrogeaient sur les opérations d’achat et de manutention de gros tonnages de vivres acquis par le ministère du Développement communautaire et de l’équité sociale et territoriale. Sincèrement, quand on le voyait suer à grosses gouttes pour répondre à ces interpellations, on se persuadait que Mansour Faye rendrait une feuille immaculée à la fin de l’exercice.

Le Président Macky Sall et son Premier ministre Amadou Ba ont fait comme s’ils n’avaient pas entendu les attaques du ministre Mansour Faye contre la Cour des comptes. C’était sans doute suffisant pour qu’un autre ministre, Moustapha Diop, rembobine le vieux disque des insultes contre ces mêmes magistrats. Lui aussi s’est permis de dire, le 30 décembre 2022, devant le Conseil municipal de Louga, que les membres de la Cour des comptes dirigent contre sa personne une opération politique. Il a agrémenté l’insulte avec la dérision, en affublant cette haute institution du titre de «Cour des règlements de comptes». Le propos a été largement repris par les médias. Il n’est pas non plus certain que le président de la République et son Premier ministre daigneront relever cette grave incartade.

Moustapha Diop est un coutumier des faits. Il s’illustre régulièrement pour faire de la Cour des comptes son «punching ball». Le 8 juin 2015, le président de la Commission des comptes et de contrôle des entreprises publiques, Abdoul Magib Guèye, et ses collègues, s’étaient rendus au siège du Fonds de promotion de l’entrepreneuriat féminin (Fpef), pour rencontrer le nouveau directeur, Abdoulaye Dahibou Ndiaye, et son staff, et leur présenter le programme de travail de la vérification. Ils comptaient effectuer leur mission d’audit qui faisait partie du programme annuel de vérification de la commission, approuvé en début d’année et soumis à l’approbation du chef de l’Etat. Le Fpef était une structure du ministère de la Femme et de la famille dont Moustapha Diop était le directeur avant d’être nommé au gouvernement. C’est ainsi que le ministre-délégué à l’époque, Moustapha Diop, informé de la présence des enquêteurs, s’était invité à la réunion. Le président de la commission lui avait fait alors remarquer que sa présence ne s’imposait pas du fait que ce n’était qu’une réunion de prise de contact. Suffisant pour que le maire de Louga sortît de ses gonds et balançât aux vérificateurs : «Vous êtes de petits magistrats de rien du tout, payés pour me déstabiliser.» Piqué par on ne sait quelle mouche, il poursuivit son monologue en disant à ses hôtes qu’ils ne font pas partie «de la Cour des comptes, mais de la Cour des règlements de comptes», mais qu’il ne se laissera pas faire. Ne s’arrêtant pas en si mauvais chemin, il mit fin à la réunion et intima l’ordre aux vérificateurs de prendre la porte. On note bien qu’il vient de reprendre sa «formule».

La révélation de cet esclandre par Le Quotidien avait ému l’opinion et dans ces colonnes, nous l’avions vivement flétri. Moustapha Diop, conduit par un de ses amis, s’était alors déplacé jusqu’à mon domicile pour s’expliquer sur sa «méprise». Je lui avais dit, dans le blanc des yeux, qu’il aurait intérêt à arranger la situation avec les magistrats car je ne voyais pas le Président Macky Sall souffrir un bras de fer avec les magistrats à cause des turpitudes d’un ministre délégué. L’Union des magistrats sénégalais (Ums) annonça par la suite déposer une plainte contre Moustapha Diop. La plainte n’aura pas de suite judiciaire car le Président Macky Sall et le ministre de l’Economie, des finances et du plan d’alors, Amadou Ba, s’étaient beaucoup investis pour arrondir les angles avec le président Ady Sarr et les autres membres de la Cour des comptes effarouchés. Moustapha Diop gagnera régulièrement du galon dans le gouvernement. Qui devrait alors s’étonner que Moustapha Diop fasse encore dans la récidive ? Le silence coupable du Président Sall et de son chef de gouvernement devant les attaques récurrentes de membres du gouvernement contre les institutions judiciaires, rend désormais illégitime leur colère quand d’autres citoyens désacralisent les institutions républicaines. Le pari peut être très risqué pour le gouvernement, d’autant que la Cour des comptes aura toute la latitude d’enfoncer le clou si cela lui chantait, au moment de l’examen de la loi de règlement de la gestion 2021, ou encore dans ses prochains rapports annuels.

Les leçons de républicanisme de Serigne Mountakha Mbacké et de Serigne Babacar Sy
Au gré du jeu politique, les institutions républicaines et leurs serviteurs sont pourfendus, agressés même. Rien n’est plus frustrant que cela, surtout qu’il est rare de trouver des voix qui comptent les défendre publiquement et que les mécanismes légaux pour assurer défense et protection à ces fonctionnaires n’opèrent pas toujours efficacement. Les opposants au régime du Président Sall n’auront pas l’excuse de leur posture pour vilipender les juges à chaque fois qu’une décision ne leur est pas favorable alors qu’ils ne manquent pas de se féliciter des autres verdicts en leur faveur. Nous avons régulièrement fustigé ce vulgaire opportunisme, notamment durant le traitement judiciaire de l’affaire Khalifa Sall, pour nous étonner : «S’il faut en arriver à huer les juges» (16 juillet 2018). Mais le plus affligeant est que certaines attaques sont dirigées contre ces institutions par des acteurs judiciaires, «ces juges qui se moquent de la Justice» (4 septembre 2020). «Les coups portés à la crédibilité des institutions judiciaires sont souvent, et au premier chef, du fait même des acteurs de la Justice. Ils donnent ainsi le bâton pour se faire battre (…) Au gré des verdicts, les juges sont applaudis ou on fait siffler leurs oreilles si ce qu’ils rendent ne nous agrée pas. Si nos juges, du fait de rivalités personnelles, de luttes d’influence ou de conflits d’une toute autre nature, ne cessent de s’empoigner et de se fusiller, c’est la crédibilité d’un pan majeur de notre République qui perd au change (…). Il y a eu un terrorisme médiatique sur les magistrats, au point que certains chefs de juridiction éprouvent de la peine à composer des Chambres pour juger certaines affaires. Ce qui est à regretter dans cela reste que les magistrats soient tombés dans ce jeu de duel sur la place publique, d’une quête de vedettariat et que la fonction soit de nos jours marquée au fer d’une rivalité infondée entre des magistrats d’une vieille garde qu’on accuse de tous les péchés possibles et de jeunes magistrats à la probité des dieux.»

L’espoir peut encore être permis car l’actualité de ces derniers mois révèle que le devoir de protection de l’idéal républicain, des institutions et des agents publics est endossé par des acteurs nouveaux, provenant paradoxalement des milieux religieux pourtant connus pour un certain conservatisme, pour ne pas dire féodalisme. La gestion de la pandémie du Covid-19 a révélé la posture républicaine et éminemment responsable du Khalife général des Tidianes, «Serigne Mbaye Sy Mansour, l’exemple» (19 juillet 2021). Le Khalife général des Tidianes a eu le discours approprié et pertinent quant à la protection des agents de santé publique et les Forces de l’ordre, pour la réussite des campagnes de vaccination et autres mesures de prophylaxie, notamment la fermeture des lieux de culte. Le Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, n’a pas été en reste. Non seulement il n’a pas écouté des illuminés qui cherchaient à le dresser contre notre chronique «Mille coups de fouet à combien d’hommes sénégalais» (24 octobre 2022), mais Serigne Mountakha Mbacké a pris à son propre compte notre propos qui préconisait la restauration de l’autorité des services de sécurité de l’Etat au niveau de la ville de Touba. «La passivité de l’État a fait le nid de la prolifération de milices d’obédience religieuse qui ont fini par se muer en polices religieuses pour arrêter et bastonner jusqu’à des personnes trouvées en train de fumer une cigarette ! Des femmes présumées être des travailleuses du sexe, trouvées dans des lieux privés, ont été molestées et certains de leurs bourreaux les ont punies en profitant de ces proies pour satisfaire leur libido. D’autres femmes mal vêtues à leur goût, se font arracher publiquement leurs coiffures ou leurs faux-cils (…). Les autorités publiques marchent sur des œufs et poussent le «ponce pilatisme» jusqu’à proscrire l’intervention des Forces de l’ordre dans des localités. On a vu des milices religieuses arrêter (on ne sait dans quelles circonstances et conditions) des personnes et les conduire, dans un rare instant de mansuétude, devant la police d’Etat qui prend ainsi la suite. Quelle forme de coopération pourrait-on envisager entre une police religieuse et une police républicaine d’un Etat démocratique, alors qu’elles ne partagent pas les mêmes règles de droit positif ? Le Président Abdou Diouf avait eu l’habileté de convaincre le Khalife général des Mourides, Serigne Abdoul Ahad Mbacké (1968-1989), d’installer les forces de police d’Etat dans la ville de Touba, qui tendait à devenir un repaire de malfrats, de bandits de tout acabit et de trafiquants de drogue. Par exemple, quand des unités cynophiles avaient été déployées dans la ville, l’émoi était tel que le khalife a pu instaurer d’autorité et faire accepter la présence des chiens renifleurs dans toute l’enceinte de la ville, avec une formule restée dans les mémoires : «Ces chiens ne traquent que leurs semblables !»

Serigne Mountakha Mbacké a fait le 27 décembre 2022, une déclaration, ferme et avec le sourire, pour dissoudre la police religieuse à Touba, la Dahira Safinatoul Aman, et demander que les missions régaliennes de sécurité publique soient désormais exclusivement assurées par les services de l’Etat. On ne peut que s’en féliciter quand on voit le désastre provoqué en Iran par exemple, par les conséquences d’actions des unités de police religieuse.
Par Madiambal DIAGNE – mdiagne@lequotidien.sn

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