Culture

Horizon – Philigence Faye, poète-romancier : «La littérature sénégalaise a deux visages»

Pour le poète et romancier Philigence Faye, l’écriture est un miroir par lequel il regarde à l’intérieur et autour de lui. Auteur deux romans et de poèmes, il estime que la littérature sénégalaise a deux visages. D’une part, ces écrivains comme le Goncourt Mbougar Sarr, et de l’autre, des écrivains confrontés à un manque de moyens financiers, à l’absence d’un bon circuit de diffusion, au défaut d’une bonne politique du livre et au manque de travailleurs qualifiés en littérature.

Quel est votre parcours d’écrivain ?
Je suis poète et romancier d’expression française. Mes livres sont le reflet de mon existence. J’ai publié mon premier livre, un recueil de poèmes intitulé Mots et maux de ma main, chez Diasporas Noires Editions en 2017. En 2019, j’ai publié mon premier roman, Lettre à ma défunte bien-aimée, aux Editions Saint Honoré Paris. En 2021, j’ai co-écrit Plume terrorisée, un recueil de poèmes, avec Pascal Ashuza Mihigo, publié par Publibook. Mon quatrième livre et mon deuxième roman, Aïda : L’espoir de Sangomar, est publié par les Editions Milot Paris en novembre 2022.

Qu’est-ce-qui vous a poussé à être écrivain ?
Cette question peut être abordée sous plusieurs angles. La genèse de ma carrière d’écrivain vient de ma passion pour la lecture, le contact avec le livre dès le bas âge, le goût de s’évader tout en restant accroché au monde des personnages romanesques, dramatiques, poétiques, etc. Aussi, mon envie d’écrire est liée à mon désir de transformer mon silence en une parole vivante. L’écriture est le seul endroit où je parviens à faire parler mes silences intérieurs, de tout ce que ma timidité m’empêche de dire. A l’image de Patrick Modiano, je peux affirmer que j’ai souvent des rapports difficiles avec la parole… Je suis plus doué pour l’écrit que pour l’oral. L’écriture est un miroir par lequel je regarde à l’intérieur de moi et autour de moi, c’est une vitrine par laquelle j’invente moi-même mon propre espace de vie, donne un souffle à mes propres personnages, construit mes propres dialogues, joue avec la symphonie des mots et du rythme… Enfin, j’écris pour transmettre des émotions et perceptions, mais également pour faire découvrir aux lecteurs ma propre vision d’un monde qui ne m’appartient pas. Par le truchement de ma plume, j’ouvre à la fois une fenêtre sur le monde des autres et sur le mien, mon univers intérieur.

Quels sujets évoquez-vous dans vos ouvrages ?
Mes livres traduisent ma volonté de créer un pont entre les civilisations, les hommes, les temps et les espaces. Ils sont caractérisés par la pluralité des thèmes, allant de la question des femmes, en passant par la protection de l’environnement, d’un meilleur devenir de l’Afrique, de l’expression des sentiments, de l’harmonie entre les peuples… Toutefois, j’appelle toujours à l’interpellation du lecteur. Car l’œuvre littéraire n’est pas seulement le texte de l’auteur, c’est avant tout un rapport d’interaction entre le lecteur et le texte. Mes créations littéraires sont un vaste champ où chaque lecteur est en mesure de faire une interprétation qui lui est propre. J’invite chaque lecteur à s’approprier les thèmes qui lui parlent. En résumé, en tant qu’écrivain, je ne saurais circonscrire mes livres, du fait qu’ils peuvent avoir différentes connotations au regard de chaque lecteur.

Pourquoi Lettre à ma défunte bien-aimée ? Est-ce une histoire réelle qui parle de vous ou d’une autre personne ? 
Lettre à ma défunte bien-aimée est un brassage de faits imaginaires et réels. Dans ce roman, à la fois tragique et très marquant, il n’est toujours pas facile de distinguer la frontière qui sépare la réalité et la fiction. A travers une histoire réelle reposant sur une intrigue amoureuse basée sur la fiction, j’ai créé Robert, un personnage masculin. A chaque étape de sa vie, il se confronte à l’échec de ses relations amoureuses. L’exemple le plus patent est le jour où il a perdu Eugénie, sa bien-aimée, celle qui est décédée le jour de leur mariage. Le décès de Eugénie va être un autre fardeau pour Robert, qui se retrouve esseulé et sans force. Grâce à une lettre adressée à sa bien-aimée, Robert promet à Eugénie qu’elle sera son dernier amour sur terre, et qu’il a hâte de la rejoindre au Paradis, afin qu’ils puissent célébrer leur mariage. En somme, Lettre à ma défunte bien-aimée transporte le lecteur vers les vagues douces et agitées de l’amour.

Et Plume terrorisée ? C’est un recueil de poèmes…
Plume terrorisée, c’est un recueil de poèmes que j’ai co-écrit avec Pascal Ashuza Mihigo. C’est un cri de douleur face au chaos d’une terre de terreur, où une jeunesse d’Afrique désespérée et sans repère tente d’y croire encore, et se dresse pour bafouer la fatalité. Dans ce recueil de 54 poèmes de toute beauté, sensibles et déchirants, nous avons fusionné nos cœurs de poètes et nos âcres sentiments à nu. Il est question dans ce recueil de poèmes de nos souffrances, de nos haines parfois, mais aussi de nos espoirs fous et de nos attentes pour une Afrique digne de ce nom. Ce livre, ancré dans les racines africaines, est une vitrine pour parler aussi bien d’émigration clandestine, de conflits armés, de terrorisme, d’oppression, de famine et de pauvreté…

Votre deuxième roman, Aïda : l’espoir de Sangomar, raconte la femme sénégalaise…
Aïda : l’espoir de Sangomar est un roman orienté sur le devenir de la femme sénégalaise. C’est une vitrine par laquelle j’invite les femmes à se donner toutes les armes pour défier tous les obstacles qu’elles croisent sur leurs différents chemins de femme intellectuelle, de femme mariée, de femme entrepreneure, de féministe… Dans ce roman, après avoir obtenu son baccalauréat, Aïda, grâce aux conseils de ses parents, s’est engagée à aller poursuivre ses études en France, à Toulouse. Une fois au pays de Marianne, elle met toutes les chances de son côté pour réussir son parcours estudiantin. En même temps, dépaysée et déchirée entre deux cultures, elle en finit avec son caractère de femme soumise africaine, et s’engage à défendre la cause féminine. Après avoir décroché un diplôme avec les honneurs, elle décide de retourner au Sénégal pour montrer l’exemple et motiver les femmes. Une fois à Dionewar, la réalité la rattrape et ses aspirations disparaissent peu à peu sous le poids des mœurs locales.

 Comment jugez-vous la littérature sénégalaise à l’heure actuelle ?
C’est une littérature à deux visages. D’une part, elle fleurit au plan international grâce au travail remarquable des maisons d’édition comme Jimsaan de Felwine Sarr et de Boubacar Boris Diop, de Saraba et aux consécrations d’écrivains comme Boubacar Boris Diop (Prix international de littérature Neustadt), Mouhamed Mbougar Sarr (Prix Goncourt 2021), David Diop (Booker International Prize), etc. Cette littérature sénégalaise, qui a le vent en poupe, s’impose aujourd’hui comme une pourvoyeuse majeure de talents francophones. Ces écrivains traduisent surtout la vitalité de la créativité sénégalaise qui a été plusieurs fois soulignée par les critiques littéraires. D’autre part, elle peine à se relever du fait d’un monde de l’édition et du livre qui est peu organisé. Le manque de moyens financiers, l’absence d’un bon circuit de diffusion, le défaut d’une bonne politique du livre, le manque de travailleurs qualifiés en littérature font que l’industrie du livre a toujours du mal à décoller et à faire éclore de nombreux écrivains au talent avéré.

 On note beaucoup de productions livresques chez la jeune garde. Est-ce que la qualité y est? 
Ces dernières années, les jeunes écrivains concurrencent les ténors du monde littéraire. La plupart d’entre eux sont entrés dans la légende, en faisant naître des œuvres de qualité qui rivalisent avec celles de grands écrivains contemporains com­me Alain Mabanckou, Ngu­gi Wa Thiong’O, Ken Bugul, Abdourahman Waberi, Bou­bacar Boris Diop. Les consécrations de jeunes écrivains comme Mohamed Mbougar Sarr, Khalil Diallo, Ernis, Za­charia Sall, Karen Jennnings, Chimamanda Ngozi Adichie, etc., sont le signe d’une production littéraire de qualité, fruit d’un travail de longue date. Ils honorent les lettres de noblesse de la littérature africaine qui a toujours été reconnue comme une littérature pourvoyeuse de génies. Néanmoins, la plupart des livres (roman, recueil de poèmes, pièce de théâtre, nouvelles, etc.) méritent d’être mieux révisés du fait de plusieurs facteurs : précipitation dans le processus d’édition, recherche effrénée du gain, ligne éditoriale floue, surproduction de livres dans une année, absence totale de formations sérieuses en matière d’édition, etc.

Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur des projets littéraires, à savoir l’écriture d’un roman, d’un recueil de poèmes et d’une pièce de théâtre. Jour et nuit, j’y consacre tout mon temps, afin qu’à la sortie de ces livres, mes prochaines créations littéraires puissent marquer l’esprit du lecteur, le faire réfléchir. D’ici 2024, au moins un de mes manuscrits fera la Une du marché du livre. Un autre projet concernant la traduction en arabe de mon roman Lettre à ma défunte bien-aimée est en ligne de mire. Il va bientôt être finalisé grâce à une collaboration avec M. Mohamed Yahya Abdel Wedoud, un écrivain mauritanien.
Propos recueillis par Amadou MBODJI (ambodji@lequotidien.sn)

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