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Sénégal: le calvaire des talibés dans les rues se poursuit après le mesurettes du Gouvernement

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Pieds nus, t-shirt en lambeaux, Ousmane arpente les rues de Mbao (périphérie de Dakar) à longueur de journée pour chercher de quoi survivre. Un fardeau quotidien et perpétuel. Confié à un marabout par son père, la vie se révèle être dure pour lui, il se sent « seul et rejeté ». En cette période de froid, il est livré à lui-même, obligé de faire la manche pour se nourrir. « La nuit, je dors souvent dehors. Je n’ai pas d’habits pour me protéger. Avec d’autres copains, nous nous trouvons un coin. Nous dormons là-bas pour nous tenir au chaud », confie Ousmane, le visage triste.

La majorité des jeunes talibés, partis de chez leurs parent pour apprendre le Coran, vivent dans des conditions précaires. Ils sont logés en surnombre dans des maisons délabrées où l’accès à l’eau potable et à l’électricité sont restreints. De plus, ils mangent parfois qu’une fois par jour. De ce fait, impossible de se concentrer sur les sourates et versets à parcoeuriser. Sans compter les services corporels qu’ils subissent dans ces lieux d’apprentissage. En effet, il arrive fréquemment que les enfants soient sévèrement battus par leur maître parce qu’ils n’ont pas pu collecter la somme d’argent fixée à au moins 500 FCFA par jour.

« S’il te plaît, achète-moi à manger, j’ai faim »

Couché sur un morceau de carton, aux abords du ron-point de Grand Mbao, la tête cachée dans son blouson, Sewrou Diagne, âgé d’à peu près 9 ans et originaire de Saloum, dort dans la rue depuis plus de 3 jours. « Il arrive parfois que je dors dans la rue surtout ces temps-ci où je n’ai rien à ramener à mon daara », affirme le jeune garçon avec des traces de larmes séchées sur son petit visage.

Le comportement des passants face aux talibés qui demandent de petites pièces diffère. Les regardant avec pitié, certains leurs donnent des pièces, des sachets de lait caillé ou des biscuits. Mais d’autres fois, c’est de l’indifférence totale qu’ils reçoivent de la part de ces derniers. Une situation qui ne les empêche pas, juste après la prière de l’aube, d’arpenter les rues de la capitale, pour satisfaire aux charges du marabout.

Vêtu d’un short et d’un pull-over troué, Babacar, âgé de 5 ans environ, déambule sur l’asphalte, pieds nus, entre les voitures circulant à vive allure. Il tend la main de gauche à droite pour obtenir quelques pièces, il demande aux conducteurs de quoi s’acheter du « pain beurre », car il a faim et n’a rien avalé depuis plusieurs heures. « S’il te plaît, achète-moi à manger, j’ai faim » dit-il à votre serviteur. « Je n’ai que 25 francs. Depuis hier, d’autres talibés m’ont volé de l’argent et je ne vais pas pouvoir rentrer dans mon daara, on risque de me frapper », supplie le petit garçon en pleurs.

« Plus de 1 500 enfants dont environ 1 000 talibés ont été retirés de la rue », selon les autorités

En 2016, le Sénégal avait pris la décision de retirer ces enfants de la rue. Les enfants récupérés sont gardés en « centres d’accueil, d’information et d’orientation pour enfant en situation difficile » appelés « Ginddi », gérés par l’Etat. Ils y restent le temps de retrouver leurs parents. Il est difficile de savoir si la prise en charge est toujours d’actualité. Certaines ONG ont retroussé leurs manches pour leur venir en aide. En 2010, le nombre de talibés au Sénégal était estimé à 50 000 par l’ONG Human Rights Watch et à plus de 100.000 enfants en 2019.

Human Rights Watch a également analysé des informations montrant qu’au moins 32 enquêtes judiciaires sur des abus présumés perpétrés par des maîtres coraniques ou leurs assistants ont été ouvertes entre 2017 et 2019 dans neuf régions administratives, entraînant au moins 29 poursuites et 25 condamnations pour mendicité forcée, sévices ou mort d’enfants.

En juin 2016, le Président Macky Sall a ordonné « le retrait d’urgence des enfants des rues ». Ce qui a permis de lancer rapidement la première phase du programme. De mi-2016 à début de 2017, plus de 1 500 enfants dont environ 1 000 talibés ont été retirés de la rue et placés temporairement dans des centres d’accueil. Plusieurs centaines d’entre eux ont été ramenés à leurs familles. Toutefois, comme l’indique un rapport de Human Rights Watch de 2017, le programme a retourné plus de 1 000 enfants aux mêmes maîtres coraniques qui les avaient envoyés mendier initialement. Le gouvernement n’a pas ouvert d’enquêtes officielles sur les maîtres concernés et aucune inspection n’a été menée afin de vérifier les conditions de vie dans les daaras en question.

« La Covid-19 impacte les conditions de vie des enfants talibés »

La situation devient un phénomène récurrent malgré les mesures prises par l’Etat pour éradiquer le fléau Habits sales, visage maigre sur lequel se lit la fatigue, ils se lancent alors dans des travaux quelconques : jeter les poubelles, porter des courses, aller dans les marchés pour décharger des camions de légumes, des travaux pénibles sans protection adéquate – qu’ils sont obligés de réaliser pour obtenir quelques pièces.

De plus, la pandémie a eu des impacts sur les conditions de vie des enfants talibés, et a mis en lumière leur vulnérabilité multidimensionnelle. Elle a entraîné des changements drastiques dans leurs pratiques quotidiennes en matière d’alimentation, de mobilité, de mendicité et d’apprentissage. La pandémie a mis à nu la précarité du système de protection sociale et sanitaire des enfants talibés qui, en cette période, n’ont pas de masques ni de gel, continuant, malgré eux, à sillonner les rues et s’exposant ainsi à des risques de contaminations.

Malgré les difficultés qu’il rencontre au quotidien, Ousmane, « rêve de vivre comme tous les enfants du monde en famille, être aimé et protégé ». Comme tous les jeunes de son âge, il veut « aller à l’école, avoir de beaux habits ou devenir footballeur comme Sadio Mané. »
AVEC PRESSAFRIK

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